Goto main content
 
 

Yemen : "Les personnes handicapées ont peur de sortir de chez elles"

Droit Mines et autres armes
Yémen

La situation des personnes handicapées au Yémen est désespérée. Difficultés à fuir les violences, à accéder à l'aide... Yasmine Daelman, responsable plaidoyer, explique la situation.

Les deux cousines Erada (à droite) et Hala (à gauche) ont été victimes d'une attaque aérienne. Ici, elles sont soignées au centre de réhabilitation de Sanaa.

Les deux cousines Erada (à droite) et Hala (à gauche) ont été victimes d'une attaque aérienne. Ici, elles sont soignées au centre de réhabilitation de Sanaa. | © ISNA Agency l HI

Handicap International publie une étude sur la protection des personnes handicapées en zones de conflit. La résolution de l'ONU de 2019 sur cette question reste largement inappliquée, notamment au Yémen.

Quelle est la situation actuelle au Yémen ?

Plus de 7 ans de guerre au Yémen ont provoqué l'une des plus graves crises humanitaires au monde : environ 75% de la population a besoin d'une aide humanitaire. Les bombardements et les pilonnages intensifs en zones peuplées ont provoqué une destruction massive des infrastructures civiles. 150'000 Yéménites sont morts dans des attaques directement liées au conflit, mais les estimations montrent que l'impact cumulé des combats et de la dégradation successive des infrastructures et des services a tué 380'000 Yéménites. Bien qu'une trêve temporaire ait été déclarée en avril, il reste à voir combien de temps elle sera maintenue. Des dizaines de violations sur le terrain continuent d'être signalées quotidiennement.

Comment les personnes handicapées sont-elles affectées dans une zone de guerre comme le Yémen ?

Les personnes handicapées nous ont dit qu'elles avaient peur de sortir de chez elles. Elles vivent dans la crainte constante d'être blessées, car elles ne peuvent pas s'échapper lors des explosions ou des affrontements armés : un handicap physique, sensoriel ou intellectuel peut empêcher une personne de fuir des violences. De nombreuses personnes malentendantes, par exemple, ont subi des blessures liées au conflit en raison de leur incapacité à entendre et à comprendre ce qui se passe lors d'attaques ou d'affrontements armés. Ne pas pouvoir percevoir les situations de violence crée chez ces personnes de la détresse psychologique.
L'Organisation mondiale de la santé estime que quelque 4,8 millions de personnes au Yémen souffrent d'au moins un handicap, mais on ne dispose pas encore de données précises sur leur nombre exact et leur situation. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que leur nombre a considérablement augmenté depuis le début de la guerre. Cette augmentation résulte de blessures liées au conflit, causées par l'utilisation généralisée d'armes explosives, mais aussi de causes indirectes du conflit, comme les maladies pas soignées en raison de la perturbation ou de l'inaccessibilité des services de santé, par exemple.
Les personnes handicapées sont les plus marginalisées dans les communautés touchées par une crise, y compris au Yémen. Pourtant, leurs besoins sont à peine satisfaits. Elles vivent sans protection et sans être vues, comme l’indique le titre du rapport que nous avons publié en partenariat avec la Fondation arabe des droits de l'homme. Ce rapport traite de la mise en œuvre au Yémen de la résolution 2475 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui porte sur la nécessité de protéger les personnes handicapées dans les conflits armés.

Plus de 4 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays par les violences. Parmi elles, des personnes handicapées. Comment sont-elles spécifiquement affectées par les déplacements ?

Les conflits et les déplacements augmentent le risque de séparation entre les personnes handicapées et leurs aidants. De nombreuses personnes souffrant de handicaps physiques, en particulier, ne sont souvent pas en mesure de fuir lorsqu'elles sont confrontées à des situations de violence. Il arrive même que, lorsqu'une famille doit s'enfuir, elles soient abandonnées.
Les camps de personnes déplacées au Yémen manquent de services de base adéquats et d'infrastructures accessibles aux personnes handicapées, comme des toilettes et des installations sanitaires, ainsi que des points de distribution de nourriture, ce qui signifie que même leurs besoins les plus élémentaires ne sont souvent pas satisfaits. Les outils et les méthodes de communication dans un camp ne sont pas non plus adaptés aux besoins des personnes ayant un handicap visuel ou auditif, ce qui les exclut de nombreuses formes d’aide.

L'accès à l'aide et aux services au Yémen reste extrêmement limité. Quel est l'impact sur les personnes handicapées ?

Environ 60% de la population du Yémen vit dans des zones rurales, tandis que la grande majorité des services qui fonctionnent encore sont souvent concentrés dans les centres urbains. La disponibilité des services a également considérablement diminué depuis le début de la guerre. Par exemple, au moins 50% des établissements de santé au Yémen ont été détruits ou endommagés à un point tel qu'ils ne peuvent plus fonctionner. L'utilisation d'armes explosives dans les zones peuplées a détruit une grande partie des infrastructures (santé, éducation, etc.) dont les personnes handicapées ont besoin.
De plus, 10 millions de Yéménites (environ 50% de la population dans le besoin) à travers le Yémen vivent dans des zones affectées par des contraintes d'accès. 81% des personnes handicapées que nous avons interrogées nous ont dit qu'elles n'étaient pas en mesure d'accéder aux services humanitaires : ils ne peuvent pas atteindre les services parce qu'ils sont trop éloignés ou qu'ils n'ont pas les moyens de payer le transport pour s'y rendre, parce que les routes sont trop dangereuses pour circuler car elles sont truffées de mines, et bien d'autres encore. Les causes sont nombreuses... Tous ces éléments se conjuguent en même temps et rendent extrêmement difficile pour les personnes handicapées l'accès aux services dont elles ont besoin.
Les difficultés qu'elles rencontrent peuvent également être le résultat d'autres obstacles tels que des attitudes négatives, des idées fausses et la stigmatisation. Un autre problème est que les personnes handicapées ne sont souvent pas consultées sur leurs besoins réels ou invitées à partager leurs points de vue dans les espaces de coordination et dans les forums internationaux où sont prises les décisions qui les concernent.

Que peut-on faire pour améliorer la situation des personnes handicapées dans les zones de guerre ?

Tous les États doivent intérioriser leur engagement à mettre en œuvre la résolution 2475. HI souhaite rappeler à toutes les parties aux conflits dans le monde et à leurs alliés la nécessité absolue de respecter toutes leurs obligations en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme, y compris la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), en accordant une attention particulière à l'article 11 traitant des droits des personnes handicapées dans les situations de conflit armé et d'urgence humanitaire.
Les États doivent également veiller à ce que des ressources spécifiques soient mises à la disposition des partenaires humanitaires et de développement pour intégrer l'inclusion dans les réponses humanitaires et de développement, et pour assurer la participation significative des groupes exposés à la discrimination dans les phases de programmation humanitaire et de développement.

---
"Unshielded, Unseen : la mise en œuvre de la résolution 2475 du Conseil de sécurité des Nations unies sur la protection des personnes handicapées dans les conflits armés au Yémen"

Ce rapport fournit un examen non exhaustif de la situation des personnes handicapées au Yémen au regard des dispositions de la résolution 2475 et propose des recommandations pour faciliter sa mise en œuvre dans le contexte du Yémen. Pour ce faire, une analyse documentaire et des entretiens avec des représentants de huit organisations yéménites locales de personnes handicapées (OPD) ont été réalisés, ainsi que des entretiens avec des personnes affectées et des professionnels d'ONG internationales sur le terrain. Ces entretiens et recherches ont eu lieu de mars à avril 2022. Ce document reflète également des éléments anecdotiques et empiriques issus de l'expérience de HI dans la mise en œuvre d'activités pour et avec les personnes handicapées au Yémen.

> Télécharger le document au format PDF (anglais uniquement)

En 2019, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l'unanimité la résolution 2475

Le 20 juin 2019, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté à l'unanimité la résolution 2475, une résolution historique appelant les États et les parties à un conflit armé à protéger les personnes handicapées dans les situations de conflit et à faire respecter leurs droits, notamment en veillant à ce qu'elles aient accès à la justice, aux services de base et à une aide humanitaire sans entrave. Complète et claire, la résolution 2475 a établi plusieurs actions concrètes que les États, les parties aux conflits, l'ONU et la communauté internationale dans son ensemble doivent prendre afin de relever les défis auxquels sont confrontées les personnes handicapées dans les situations de conflit armé. Cependant, l'impact de la résolution dépendant entièrement de sa mise en œuvre, le manque d'action sur le terrain laisse les personnes handicapées affectées de manière disproportionnée par les conflits dans le monde. C'est notamment le cas au Yémen, où l'on estime que quelque 4,8 millions de personnes présentent au moins une forme de handicap.

Published on: 31 mai 2022
Nos actions
pays
par pays

Contactez-nous

Relations presse

Nadia Ben Said
Responsable Relations Médias
(FR/ALL/EN)

Tél : +41 22 710 93 36
[email protected]

Aidez-les
concrètement

Pour aller plus loin

Observatoire des mines : 5757 victimes en 2023, une augmentation de 22 % par rapport à 2022
© J. M. Vargas / HI
Mines et autres armes Stop Bombing Civilians

Observatoire des mines : 5757 victimes en 2023, une augmentation de 22 % par rapport à 2022

Publié ce mercredi 20 novembre à Bangkok, le rapport 2024 de l'Observatoire des mines fait état d'une augmentation du nombre de victimes causées par les mines : 5757, dont 84 % sont des civils. Une augmentation de 22 % par rapport à 2022. Handicap International, qui a reçu le prix Nobel de la paix avec d'autres organisations pour sa lutte contre les mines, appelle les États à user de leur influence diplomatique pour cesser d'utiliser ces armes aveugles. 

Gaza : l'histoire de Qamar, 7 ans
© Y. Nateel / HI
Mines et autres armes Stop Bombing Civilians Urgence

Gaza : l'histoire de Qamar, 7 ans

Parmi les personnes prises en charge par nos équipes, c’est la petite Qamar que nous avons choisi de vous présenter en vidéo. Lorsqu'un obus de char a frappé sa maison dans le nord de Gaza, elle a été gravement blessée et amputée de la jambe droite, a seulement 7 ans. Aujourd’hui, elle vit avec sa famille dans un camp de déplacés, où les conditions sont très précaires.   

Défendre la convention sur les armes à sous-munitions : une position critique pour un traité qui sauve des vies
© U. Meissner/HI
Mines et autres armes Mobilisation Stop Bombing Civilians

Défendre la convention sur les armes à sous-munitions : une position critique pour un traité qui sauve des vies

L'Observatoire des armes à sous-munitions 2024, publié en septembre 2024, continue de révéler de nombreuses utilisations de ces armes, ainsi que de nouvelles victimes. Alors que la Lituanie s'est récemment retirée de la Convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions, nous rappelons son importance pour protéger les civils et l'impact à long terme de l’utilisation de ces armes interdites.